Les « Grandes découvertes » chez Ronsard
MAGELLAN, HENRIQUE ET L’HISTORIEN : QUEL « NOUVEAU MONDE » ?
Mardi 18 janvier, à 19h, le Prieuré Saint-Cosme, en partenariat avec les Cafés historique en région Centre Val de Loire et les Rendez-vous de l’Histoire, recevait l’historien Romain Bertrand, pour une conférence intitulée « Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan ».
Dans le courant d’une histoire mondiale qui se cristallise en France autour de Patrick Boucheron et sa direction d’une Histoire mondiale de France, à laquelle a par ailleurs contribué Romain Bertrand, celui-ci nous a transporté, durant une heure, au cœur d’un récit d’aventures : la trépidante et véritable vie de Magellan et de ses équipages. Et alors que l’historien a su tenir son auditoire en haleine jusqu’à la tragique fin du navigateur, nous avons (re)découvert un personnage (mé)connu dans l’histoire des grands voyageurs et des premiers tours du monde : Henrique, figure, en Indonésie, du véritable héros.
Henrique dit de Malacca, né vers 1494, esclave et interprète de Magellan, serait en effet le premier homme à avoir accompli le tour du monde. Originaire de Sumatra ou de Malacca, parlant le malais, langue comprise dans l’ensemble de l’Insulinde, il avait été acheté en 1511 à Malacca par Magellan. Il accompagna le navigateur jusqu’en Europe en 1512 puis embarqua avec lui en 1519, avec l’ordre tenu secret par la couronne espagnole de chercher un passage pour atteindre le Nouveau Monde (Les Indes) par la route occidentale… A la mort de Magellan lors d’une bataille aux Philippines, Henrique continue sa mission d’interprète mais est soupçonné de trahison par le nouveau commandant de l’équipage espagnol. Il disparaît alors des sources, mais l’hypothèse est formulée qu’il chercha à rentrer chez lui, accomplissant ainsi, avant même le retour en Espagne des 18 marins survivants de l’aventure menée par Magellan, le premier tour du monde.
Henrique est célébré comme héros national aux Philippes et en Malaisie en raison de sa supposée déloyauté envers l’expédition espagnole. En 2016, un mémorial en son honneur est inauguré au Art Museum de Singapour.
Cette histoire, formidablement contée par Romain Bertrand dans son ouvrage « Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan. » paru aux éditions Verdier en 2020, nous ouvre un pan entier de réflexion sur la posture de l’historien face aux sources existantes. Entre le scientifique et le conteur, entre la preuve et l’hypothèse, cette posture d’équilibriste doit sans cesse être interrogée, débattue et réaffirmée, afin de pouvoir « accorder à l’ensemble des êtres et des choses en présence une égale dignité narrative ».
RONSARD, VILLEGAGNON ET LE POETE : UN AUTRE MONDE POSSIBLE ?
Et Ronsard dans tout cela ? Poète de cour, grand lecteur, fréquentant un temps André Thevet, le célèbre cosmographe du roi, Ronsard n’est pas sans connaître les récits des nouveaux territoires que les Européens foulent depuis la fin du XVè siècle. Il n’a pas participé à ces expéditions comme d’autres poètes tels que le Grand Rhétoriqueur Jean Parmentier qui se voit confier une des premières expéditions françaises vers l’Extrême-Orient et notamment vers les îles aux épices ou bien son exact contemporain le Portugais Luís Vaz de Camões qui compose le célèbre poème Les Lusiades à Macao.
Si Ronsard évoque dans ses écrits le Nouveau Monde, ce n’est pas pour parler d’une expérience, directe ou indirecte – bien qu’il évoque celle de Nicolas Durand de Villegagnon et son éphémère colonie française au Brésil dans le poème Complainte contre Fortune (1559, Second Livre des Poèmes, v. 325 et suiv.). Il n’emploie d’ailleurs pas le mot « découverte » (qui garde, chez Ronsard, le sens de « laisser voir », « enlever ce qui couvre ») pour parler du Nouveau Monde : ce dernier est avant tout un lieu de concentration des valeurs liées à la nature, à l’innocence pure, bref, à un âge d’or préservé, une utopie. C’est donc à la fois une idéalisation du continent américain et de ses habitants, opposée aux déchirements civils que connaît la France durant les guerres de religion, que nous donne à voir Ronsard à travers son « discours » ; c’est aussi les prémices d’un mythe qui aura la vie longue, celui du « bon sauvage » :
[…] Ils vivent maintenant en leur âge doré.
Or pour avoir rendu leur âge d’or ferré
En les faisant trop fins, quand ils auront l’usage
De cognoistre le mal, ils viendront au rivage
Où ton camp est assis, et en te maudissant
Iront avec le feu ta faute punissant,
Abominant le jour que ta voile premiere
Blanchit sur le sablon de leur rive estrangere.
Pour ce laisse-les là, et n’attache à leur col
Le joug de servitude, ainçois le dur licol
Qui les estrangleroit, sous l’audace cruelle
D’un tyran, ou d’un juge, ou d’une loy nouvelle.
Vivez, heureuse gent, sans peine et sans souci,
Vivez joyeusement ; je voudrais vivre ainsi. […]
Pierre de Ronsard, extrait du Discours contre Fortune (v. 351-364)
Pour aller plus loin :
Romain Bertrand, Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan, Verdier, 2020
Frank Lestringant, Sous la leçon des vents. Le monde d’André Thevet, cosmographe de la Renaissance, Classiques Garnier, 2021
Pour la chaise longue (sur l’épopée de Villegagnon) :
Jean-Christophe Rufin, Rouge Brésil, Gallimard, 2014
A écouter :
https://www.franceculture.fr/emissions/eureka/eureka-emission-du-lundi-23-aout-2021
Article rédigé par : Florence Caillet-Baraniak